La provence au cinéma

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Publiée le lun 20/03/2017 - 01:00 / mis à jour le mar 15/03/2022 - 15:00

Le cinéma dans le sud est une histoire ancienne. Comme pour la peinture, son origine tient à la lumière. Car il est de notoriété publique que la première projection du cinématographe Lumière se fit le 21 septembre 1895 à La Ciotat.

 

Le Cinéma Eden, rénové en 2013 en cultive la mémoire, ainsi qu’une vision novatrice du 7ème art. Auguste et Louis Lumière, ciotadens d’adoption, tournent ensuite une œuvre qui fait date.

L'Arrivée d'un train à La Ciotat des Frères Lumière (1895)

Mais la lumière qui intéresse le cinéma, c’est surtout l’ensoleillement de la région qui permet de tourner en extérieurs toute l’année. On y associe volontiers l’accent et les figures locales, surtout quand du muet on passe au parlant. « La France, sans Marseille, n’aurait pas de cinéma. J’entends du vrai, du populaire, de l’inusable. Du film qu’on rediffuse sans fin. Des répliques qui tournent au dicton. » s’amuse Olivier Boura (1). Cette terre nourrit aussi des drames sublimes comme le Toni de Jean Renoir (1935) tourné à Martigues.

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Cinéma des saintes-maries
Cinéma des saintes-maries
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Le combo idéal d'un dimanche pluvieux ? Un ciné et des pop-corn
Le combo idéal d'un dimanche pluvieux ? Un ciné et des pop-corn

Marcel Pagnol et l’âge d’or de la comédie méridionale

Le verbe haut pousse ce terroir en haut de l’affiche, comme le fit en 1937 Maurice de Canonge avec Un de la Canebière, inspiré de l’opérette. Bien sûr, c’est Marcel Pagnol qui a su le mieux retranscrire l’universalité de la tragi-comédie méridionale, entre bonheur solaire et tourments crépusculaires, réalisant de 1931 à 1936 MariusFanny et César.

La Trilogie Marseillaise (Marius, Fanny et César)

Avec Le Schpountz ou la Fille du Puisatier, l’aubagnais s’appuie aussi sur la culture pastorale de l’arrière-pays et la popularité naissante de comédiens hors normes comme le Marseillais Fernandel (200 millions d’entrées de cinéma cumulées dans sa carrière !). Mais Pagnol tourne aussi sur sa terre natale en implantant ses studios du côté du Prado, puis en rachetant le Château de La Buzine. Rendu célèbre par son récit autobiographique « Le Château de ma Mère », il abrite aujourd’hui un complexe de cinéma.

Marseille, côté obscur du terroir

Dès l’entre-deux-guerres, on exploite à l’excès le décor urbain de la ville portuaire. Le scénario édifiant de Justin de Marseille (1934) y institue même, avec talent, le gangster d’honneur comme garant de la justice sociale !

Justin de Marseille Maurice Tourneur (1934)

Ensuite, polars et films noirs situés à Marseille constituent une matière classique du film d’après-guerre tel Le Port du Désir de Jean Gréville avec Jean Gabin (1954). Styliste du genre, Jean-Pierre Melville offre d’autres perspectives à la ville notamment à travers le noir et blanc épuré du Deuxième Souffle (1966). En 1970, le regain du genre culmine avec Borsalino de Jacques Deray, qui sacralise la rencontre à l’écran de Delon et Belmondo. Enfin, les deux volets de French Connection en 1971 et 1975 écrivent dans le marbre une période noire : si le film de Friedkin remporte cinq Oscars, le second chapitre signé Frankenheimer radiographie une cité marquée par la crise, le personnage de Popeye Doyle (Gene Hackman) entérinant la mythologie d’un Marseille « Chicago du sud » labellisé par Hollywood.

Trailer French Connection 2

Nouvelle vague et ciné populaire

Même la contre-culture s’empare du genre noir : dans À Bout de Souffle (1959) qui révèle Jean-Luc Godard, Belmondo vole une voiture sur le port de Marseille pour regagner Paris. Cet esprit arty se retrouve plus tard dans Cap Canaille (1983), polar rock signé Juliet Berto, interprète-muse de La Chinoise. Pendant les années 80, la mauvaise réputation s’étale sur pellicule : le ciné grand public s’empare d’événements sanglants (Le Bar du Téléphone en 1980, Le Juge en 1984) ou établit Marseille en décor de spectacles pétaradants tel Le Marginalde Jacques Deray (1983). Attirante ou infréquentable, la ville se fait tirer le portrait par un cinéma populaire porté par un autre enfant du pays, Henri Verneuil qui signe Le Clan des Siciliens en 1969 (le réfugié arménien racontera l’histoire familiale dans la saga Mayrig en 1991). C’est avec les codes efficaces du polar hexagonal que s’imposera plus tard La French de Cédric Jimenez (2014).

La French bande-annonce

Allio, Carpita, Guédiguian et l’utopie cinéma

Mais nul n’a parlé de Marseille aussi passionnément que René Allio, « cinéaste de la contestation et de la mémoire » (2). De La Vieille Dame Indigne à L’Heure Exquise, il retrace les contours d’une ville humble et laborieuse. Il n’est pas seul puisque Paul Carpita a évoqué ce Marseille “authentique” dans Marseille Sans Soleil (1960) après avoir été censuré pour son militantisme anti-guerre avec Le Rendez-Vous des Quais (1954). Social, Allio l’est aussi dans son souci du collectif en fondant sa société de production à Fontblanche à Vitrolles. Le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique sombrera en 1984 avec l’échec du Matelot 512, non sans avoir passé le relais à Robert Guédiguian. Ce communiste convaincu situe ses films à l’Estaque, préoccupé par ce qui fait et défait les communautés. Avec le succès de Marius et Jeannette (1996), il confère à Marseille une image positive et offre le César de la meilleure actrice à Ariane Ascaride.

Marius et Jeannette

La Provence : Terre de tournages

Précédé par la comédie musicale Trois Places pour le 26, dernière œuvre du cinéaste Jacques Demy et de l’acteur Yves Montand, Marseillais d’origine, en 1988, Bertrand Blier fait de Marseille son sujet en s’installant dans les quartiers nord pour tourner Un, deux, trois soleils en 1993, avant d’obliquer vers les quartiers sud pour Trop Belle pour Toi cinq ans plus tard. 

Les débuts d’une tendance qui ne s’est pas démentie puisque Marseille devient la deuxième la ville de France la plus filmée. On mentionnera bien sûr la série des Taxi produite par Luc Besson (un Taxi 5 est annoncé pour 2018) qui cumule près de 28 millions d’entrées dans l’hexagone. Plus réalistes, les films de Karim Dridi (Bye ByeKhamza et Chouf) cernent les marges paupérisées de la cité. Parallèlement, les adaptations d’œuvres littéraires se multiplient, de Total Kheops (Jean-Claude Izzo) par Alain Bévérini en 2002 à Corniche Kennedy (Maylis de Kerangal) par Dominique Cabrera en 2017, en passant par Immortel (Franz-Olivier Giesbert) par Richard Berry en 2010. Aix tire son épingle du jeu en recevant des tournages de qualité comme Le Hussard sur le Toit de Jean-Paul Rappeneau en 1995 jusqu’à Cézanne et moi de Danièle Thompson en 2016.

Corniche Kennedy

(1) Olivier Boura Marseille ou la mauvaise réputation (Arléa)

(2) « Le cinéma d’Allio ou les fantômes du transbordeur » article de Pierre Murat dans « Le Cinéma à Marseille » La Revue Marseille mars 2010

 

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